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Pénurie de main-d’œuvre : le développement durable comme levier de recrutement et de rétention

Par : Valérie Houle

En 2022, la pénurie de main-d’œuvre n’est plus un mirage lointain. Ce phénomène est bien installé dans la province et plusieurs organisations en subissent déjà les conséquences. Celles-ci doivent redoubler de créativité et d’audace pour attirer la main-d’œuvre et retenir le personnel. Un nombre grandissant d’études démontre que, au même titre que les avantages sociaux, la conciliation travail-vie personnelle ou encore la flexibilité d’horaire, les engagements sociaux et environnementaux d’une organisation deviennent des critères de sélection de plus en plus importants pour les chercheurs d’emplois, notamment chez les 20-35 ans : les milléniaux.

L’équipe d’ADDERE Service-conseil était curieuse de connaître les retombées réelles d’une démarche en développement durable dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Elle a donc invité le 13 septembre dernier, dans le cadre du lancement de sa nouvelle plateforme numérique Espace DD : le portail des entreprises écoresponsables, les représentantes de quatre organisations engagées en développement durable pour participer à un panel de discussion sur l’impact de leurs initiatives écoresponsables sur le recrutement et la rétention du personnel. Les panélistes : Marie-Christine Chenard – directrice de pratique d’affaires ESG chez Desjardins, Mélanie Girard – adjointe à la direction générale et chargée de projet à la Corporation Ski & Golf Mont-Orford, Mohika Tremblay – présidente et directrice générale chez Tred’Si Inc. et Mélanie Grégoire – co-propriétaire et directrice générale des Serres St-Élie. C’est devant une salle réunissant près d’une cinquantaine de professionnels engagés en développement durable que des observations intéressantes sont ressorties de cette discussion.

DEVENIR UN EMPLOYEUR ATTRAYANT

Marie-Christine Chenard est à la direction du service de financement durable offert par Desjardins dont l’objectif est d’accompagner les entrepreneurs dans l’intégration de facteurs de développement durable dans leurs pratiques d’affaires. Elle est convaincue que ce modèle est devenu un incontournable pour attirer et retenir la main-d’œuvre. « La pandémie a amené des réflexions par rapport à ce qu’on recherche d’un emploi, affirme-t-elle. De plus en plus de gens recherchent une certaine forme d’engagement et de respect de leurs valeurs dans leur milieu de travail, et les initiatives sociales et environnementales permettent de retrouver cet engagement. »

Une étude américaine menée en 2016 par l’agence de relations publiques Cone Communications sur les facteurs d’implication et d’engagement des employés a démontré que la grande majorité des milléniaux serait prête à accepter un salaire moins élevé pour travailler dans une entreprise socialement responsable (76 %), et affirme choisir un emploi en fonction des engagements en développement durable de l’employeur (79 %). Puis, une fois engagés, 88 % des répondants de cette génération affirment être plus enclins à garder un emploi s’ils ressentent qu’ils ont un impact positif sur la société ou l’environnement. Considérant que les milléniaux prendront de plus en plus de place sur le marché du travail au cours de la prochaine décennie, le développement durable devient donc un levier incontournable pour se positionner et se démarquer parmi les employeurs.


Mélanie Grégoire des Serres St-Élie est d’ailleurs quotidiennement témoin de la fougue des milléniaux. « Quand les jeunes employés arrivent chez nous, ils sont outrés de constater la quantité de pots de plastique utilisée dans les serres. S’ils remarquent un déchet mal trié, ils le prennent en photo et nous le disent », raconte-t-elle en souriant. « Mais les jeunes ne sont pas dupes, ajoute-t-elle. Il faut faire attention de ne pas leur promettre des choses qu’on ne peut réaliser dans le court terme. Le développement durable en entreprise, c’est un long parcours, avec plusieurs marches à monter. Parfois on aimerait en faire plus, mais on manque de solutions viables ou de ressources dans le moment présent. Il faut donc faire très attention de ne pas désillusionner les employés, et leur démontrer qu’on est constamment en train de faire des efforts pour s’améliorer. »

PROTÉGER L’ENVIRONNEMENT : UN EFFET UNIFICATEUR

Au-delà des impacts sur le recrutement, Mélanie Girard de la Corporation Ski & Golf Mont-Orford remarque que les initiatives en développement durable ont également un effet rassembleur. « Ça permet de créer des liens, d’être humain, et on apprend à s’unir à travers ça » témoigne-t-elle. « À la station du Mont-Orford, nous sommes 450 employés de tous les âges et occupant des postes très variés : cuisiniers, comptables, mécaniciens, professeurs de ski, etc. Mais quand on se retrouve devant l’ilot de tri des déchets, nous effectuons tous le même geste, peu importe notre statut : nous trions nos déchets. Nous avons un défi commun. »

Selon elle, l’aspect rassembleur du développement durable crée un sentiment d’appartenance plus fort qui contribue à la rétention du personnel. À cela s’ajoute l’impression de faire une différence qui permet de donner un sens au travail et qui engendre un sentiment de fierté et de motivation à conserver son emploi.

L’IMPLICATION COMME FACTEUR DE RÉTENTION

Donner des responsabilités aux employés sensibles à la cause environnementale peut également favoriser la rétention du personnel, en plus de répartir la charge de travail. « Les jeunes ont vraiment envie de se mobiliser donc on leur offre de s’impliquer et de nous aider à réduire notre empreinte environnementale » soutient Mélanie Grégoire. « On leur donne des responsabilités, ça nous fait avancer plus vite, ça motive tout le monde, et ça nous enlève une charge de travail ! » Considérant que les milléniaux changent trois fois plus souvent d’emploi que les générations précédentes (selon une étude américaine intitulée How Millennials Want to Work and Live menée en 2016 par le cabinet-conseil Gallup), le développement durable peut devenir une opportunité de les motiver à conserver leur poste et ainsi réduire les coûts liés au roulement de personnel.

Mohika Tremblay de Tred’Si inc. a effectué le même constat dans son entreprise. « Plusieurs têtes valent mieux qu’une! On implique très souvent notre personnel dans la prise de décisions, c’est dans notre culture d’entreprise. L’implication, ça crée un sentiment d’appartenance et ça motive les employés à rester, ce qui nous permet de continuer à nous développer de façon durable ». Pour elle, « l’implication du personnel n’est pas seulement utile, elle est nécessaire ».

LE VIRAGE VERT : PAS JUSTE UNE AFFAIRE DE JEUNES

Les quatre panélistes soulignent toutefois que plusieurs de leurs employés plus âgés sont tout aussi motivés par les enjeux de développement durable que les plus jeunes ! Il ne faut donc pas tenir pour acquis que les plus vieilles générations ne s’intéresseront pas à une telle démarche.

« L’important c’est d’avoir un plan de match et de bien l’expliquer », avance Mohika Tremblay. « Une fois que c’est bien implanté, bien compris de tout le monde, ce n’est pas si compliqué que ça ». En effet, la promotion des initiatives écoresponsables est cruciale. Comme le souligne Mélanie Girard : « on peut bien implanter des actions à l’interne, si on n’en parle pas, si on n’en fait pas la promotion, les gens ne le savent pas ! » Les employeurs ont un rôle très important à jouer sur le niveau d’implication et de motivation de leurs employés. En parlant du développement durable de façon positive et en encourageant toutes les tranches d’âge à se responsabiliser, les employeurs peuvent faire la différence !

les employés modernes à la recherche de sens

Cette discussion a bien démontré la pertinence de l’engagement des organisations en matière de développement durable pour les milléniaux, mais aussi pour les générations plus âgées qui comptent bien faire une différence pour les générations futures. Les employeurs ont tout intérêt à adopter ce nouvel employé éclairé et engagé. Impliquer efficacement le personnel dans les efforts de responsabilité sociale et environnementale de l’organisation peut aboutir à une main-d’œuvre plus dévouée et plus épanouie, et ainsi plus susceptible de rester en place à une époque où les employés ont de nombreuses opportunités d’emploi.

Les quatre panélistes s’entendent pour dire que le développement durable en entreprise est un long parcours, progressif, et non sans embûches. Mais pour devenir des acteurs de changement, attirer de nouveaux talents et retenir le personnel qualifié, il faut oser, s’engager et se démarquer !